Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 26 mars 2024

De nouvelles aéronavales ? Les avatars de la robotisation

 

La décision américaine de cesser la coopération avec la Turquie à propos du F‑35B a signé le début d’une séquence assez particulière. D’une part, la Turquie ne pouvait plus accéder à son rêve, remontant à plusieurs dizaines d’années, de disposer d’une aéronavale embarquée à voilure fixe susceptible d’opérer depuis un LHD justement conçu pour le Lightning II. D’autre part, la marine turque s’engageait dans une voie, le porte-drones, qui pourrait faire florès.

Analogue au Juan Carlos Ier, l’Anadolu aurait pu embarquer une petite dizaine de F‑35B, soit une capacité intéressante, mais qui reste dépendante d’une conception spécifique des opérations, avec une distribution des capacités d’appui et de soutien – détection aérienne avancée, lutte anti-­sous-­marine – dans le cadre d’une coalition. En effet, entré en service le 10 avril 2023, l’Anadolu est d’abord et avant tout un LHD (Landing helicopter dock) dont seule une partie des volumes intérieurs est occupée par les installations aéronautiques. Or la cessation du partenariat avec Ankara à propos du F‑35B est aussi le symbole d’une distanciation au sein de l’OTAN et d’une réduction de la probabilité d’assister à la mise en place d’une coalition navale impliquant des moyens aussi lourds qu’un porte-aéronefs.

Le cas turc : un porte-­drones de substitution au porte-aéronefs ?

Reste cependant une dimension symbolique extrêmement importante pour Ankara : qu’il embarque 10 ou 30 F‑35B et qu’il soit dépourvu d’un groupe aérien complet, l’Anadolu est avant tout représentatif d’une montée en puissance et d’une diversification capacitaire politiquement exploitable. De même, il symbolise l’action sur le « Mavi Vatan », une « patrie bleue » aussi revendiquée qu’elle est l’expression d’une puissance turque sûre d’elle, en pleine ascension et permettant d’édicter les normes selon lesquelles la Turquie agira stratégiquement (1). Or la solution finalement retenue pourrait faire sortir la Turquie « par le haut » de l’interdiction capacitaire qu’implique la décision américaine. Dès la deuxième moitié de 2020, il était question de mettre en place un groupe aérien embarqué d’un genre nouveau et tirant profit de l’expérience turque en matière de drones, tout en incluant des hélicoptères ASM ou encore des hélicoptères d’attaque (2).

D’une part, Ankara compte sur le TB3, une évolution du TB2. Si ce drone monomoteur en retient la configuration générale, il est aussi spécifiquement adapté aux opérations aéronavales. Il reçoit ainsi une liaison par satellite, qui réduit les risques liés aux actions de guerre électronique (mais qui devrait également faciliter l’intégration électromagnétique du drone sur un bâtiment ne manquant pas de systèmes pouvant causer des interférences). C’est aussi une machine deux fois plus lourde – 1 450 kg de masse maximale au décollage contre 700 kg pour le TB2 –, ce qui doit faciliter les opérations depuis la mer, mais qui autorise également un accroissement de la charge utile. Celle-­ci passe ainsi de 150 à 280 kg sur le TB3, avec six points d’emport, contre quatre sur le TB2. Les munitions vont également connaître une diversification comparativement au TB2, incluant notamment le Kuzgun, une munition modulaire qui peut, une fois dotée d’un turboréacteur, atteindre une portée de 110 km. Le train est par ailleurs adapté et les ailes, dont l’envergure passe de 12 à 14 m, peuvent partiellement se replier. Son roll-­out a eu lieu en mars 2023, et son premier vol le 27 octobre – deux jours avant la fête nationale turque. Depuis, les essais en vol se poursuivent.

D’autre part, la cérémonie d’admission au service actif de l’Anadolu a permis de présenter, sur son pont, un Kizilelma. Ce drone de combat à réaction de six tonnes de masse maximale au décollage a effectué son premier vol le 4 décembre 2022. S’il est officiellement présenté comme adapté à l’Anadolu, rien ne laisse pour l’heure présager son utilisation depuis le bâtiment : le train n’a pas l’air particulièrement renforcé et il ne dispose pas d’une crosse d’appontage – le navire lui-­même ne comportant pas de brins d’arrêts. Or il n’est pas certain qu’un drone d’une telle masse puisse apponter sans dispositif d’aide à l’arrêt – sous peine que sa course prenne une longueur excessive. Comme le TB3, son décollage ne nécessite que l’utilisation du tremplin. Reste cependant à voir quelles missions seront affectées au Kizilelma : projet prestigieux, son concept d’opération comme ses capacités précises – en particulier dans le domaine antinavire – sont encore nébuleux.

Un porte-­drones donc, mais pour quoi faire ? Comme pour n’importe quel bâtiment mettant en œuvre des aéronefs, les fonctions du navire sont relatives aux capacités des ceux-ci. Or, si l’on peut imaginer que l’embarquement d’hélicoptères ASM ferait de l’Anadolu une puissante plateforme une fois accompagné par son groupe d’escorte ou qu’il soit, bien évidemment, adapté aux opérations amphibies, quelles seraient ses fonctions dans d’autres scénarios ? Au regard des missions historiques du porte-­avions – supériorité aérienne, éclairage, lutte antinavire –, les drones embarqués pourraient avoir une utilité en termes d’éclairage, mais la faiblesse des charges utiles des drones limiterait les aptitudes en termes de lutte antinavire. Un engin comme l’Akinci semblerait plus adapté. De même, le TB3 n’est assurément pas une plateforme de supériorité aérienne et le Kizilelma doit encore faire ses preuves en la matière.

Pour autant, dans des scénarios d’appui aux opérations amphibies ou encore d’engagement dans des opérations de frappe terrestre en environnement peu contesté – il faut rappeler que le drone est vulnérable et qu’une faible charge utile réduit les aptitudes à opérer à distance de sécurité (3) –, les capacités des drones s’avéreraient intéressantes. Reste également à considérer les évolutions que pourraient subir les drones ; notamment en termes de gamme de missions, à l’instar de ce qu’a pu faire General Atomics pour le MQ‑9B SkyGuardian – il est vrai sur une plateforme plus lourde que le TB3. À ces différents égards, les capacités aéronavales sont directement contraintes par la configuration de l’Anadolu. Sauf à imaginer la conception d’un nouveau drone et non plus l’adaptation du préexistant, ces capacités resteront donc restreintes, tout en offrant un marqueur symbolique.

General Atomics : changement de voilure

Si le drone importe, comme la configuration du bâtiment de l’utilisateur, de réelles opportunités peuvent cependant émerger, avec des concepts déjà bien avancés. En mai 2022, General Atomics indiquait ainsi travailler sur de nouvelles voilures pour les drones MQ‑9B (dans les versions SkyGuardian ou SeaGuardian). Une plus grande surface alaire leur conférerait des capacités STOL (Short take-­off landing). La voilure sera également repliable. L’intérêt de cette formule est de permettre des décollages et atterrissages depuis des porte-avions ou des bâtiments amphibies de type LHD, leur offrant une capacité ISR, sans avoir besoin de catapulte ou de brins d’arrêt, les surfaces de contrôle permettant d’optimiser les phases de décollage et d’atterrissage. À terre, le drone est également utilisable depuis des pistes plus courtes. Dans les deux cas, il continue d’offrir une endurance de l’ordre de 30 heures de même que des charges utiles similaires. Surtout, la formule étudiée consiste à remplacer la voilure d’appareils déjà existants, sous forme d’un kit pouvant être installé en un jour – ne nécessitant donc pas l’achat de nouveaux appareils.

Le marché potentiel est important, certes au regard des marines utilisant des LHD, mais aussi des utilisateurs du MQ‑9B ; avec des combinaisons potentiellement inédites. On ne peut pas écarter l’idée que le Royaume-­Uni pourrait utiliser ses Protector – une variante du SkyGuardian – depuis ses porte-­avions, pour des missions de frappe ou ISR. Un Mojave, soit un Grey Eagle aux capacités STOL, a ainsi déjà été testé depuis le Prince of Wales en novembre 2023 – sachant qu’à l’horizon 2030, un nouveau type de drone, le Vixen, doit entrer en service en remplacement des Merlin Crowsnest de détection aérienne, mais aussi pour des fonctions de guerre électronique et de ravitaillement en vol (4). Sur les MQ‑9B, l’installation d’un dispenseur de bouées acoustiques permettrait également de faire du drone un outil intéressant pour les opérations ASM, permettant de déployer loin et relativement rapidement des réseaux de bouées. Mais on peut également imaginer que des États ne disposant pas de LHD puissent engager leurs drones, une fois dotés de ces kits, depuis des bâtiments étrangers. La Belgique ou l’Australie pourraient ainsi le faire avec le Royaume-­Uni – sachant que Bruxelles s’est déjà rapproché de Londres pour les aspects liés à la formation et à la maintenance – et l’Australie avec les États-­Unis. Reste également à voir si les MQ‑9A – dont sont ou seront dotés la France, l’Espagne, les Pays-­Bas ou encore l’Italie – pourront recevoir ces kits ; mais aussi si l’envergure, 24 m pour un MQ‑9B, sera compatible avec des bâtiments plus étroits, comme les Mistral et Juan Carlos.

Rupture portugaise ?

À cette formule hybride du porte-­aéronefs/porte-­drones, il faut aussi ajouter celle du pur porte-­drones. La surprise, en l’occurrence, est venue de la passation de commande à Damen d’un bâtiment spécialisé par le Portugal. Sa future « plataforma naval multifuncional », qui sera baptisée Don Joao II, est un bâtiment à pont continu de 94 m de long pour 11 m de large, doté d’un tremplin. D’une longueur totale de 107 m, le navire bénéficiera d’un espace de stockage de 650 m2 permettant d’abriter des drones, mais aussi du matériel. En effet, ses fonctions seront variées. Nombre d’observateurs se focalisent sur la mise en œuvre de drones aériens et l’allure générale du bâtiment. Mais les missions de combat du navire restent à définir et seront limitées par ses dimensions : le pont est ainsi, au mieux, moins large d’un mètre que l’ascenseur arrière du Juan Carlos Ier. Cela peut donc être suffisant pour nombre de drones tactiques, mais interdit un engin comme le SkyGuardian. En revanche, il sera intéressant pour des missions hydrographiques, de secours, voire de mise en œuvre de drones sous-­marins. En ce sens, il sera bel et bien « multifonctionnel ».

Faut-il pour autant considérer le bâtiment porte-­drones comme une rupture ? Par définition, depuis les années 1960 et les premiers embarquements d’hélicoptères, les bâtiments se marsupialisent : hélicoptères et dromes diverses trouvent dans les navires de surface des plateformes de mise en œuvre (5). Avec l’alourdissement généralisé des types – les patrouilleurs de 3 000 t.p.c. d’aujourd’hui auraient été considérés comme des frégates dans les années 1980 –, les volumes intérieurs disponibles se sont accrus et l’arrivée de nouveaux types de drones accroît cette tendance à la marsupialisation. La moindre frégate est ainsi appelée à mettre en œuvre plus de drones qu’un porte-­avions géant américain – qui n’aura à bord que quatre ou cinq MQ‑25 (6)– et sans doute pour des fonctions bien plus diversifiées. Cette évolution par les dronisations – dont l’aérienne – est déjà en marche et va assurément changer la donne de ce que l’on considère comme une aéronavale. 

Notes

(1) Joseph Henrotin, « Le Mavi Vatan : quelle vision maritime pour la Turquie ? », entretien avec Cem Gürdeniz, Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 77, avril-­mai 2021.

(2) Voir Philippe Langloit, « Drones tactiques : la percée turque », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 75, décembre 2020-janvier 2021.

(3) Joseph Henrotin, « Retour vers le futur ? De l’adaptation des drones MALE aux opérations de demain », Défense & Sécurité Internationale, no 95, septembre 2013.

(4) Le projet est officialisé depuis 2020 dans le document Future Maritime Aviation Force, mais sans que plus d’informations soient données sur la plateforme porteuse.

(5) Joseph Henrotin, Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, coll. « Bibliothèque stratégique », Economica, Paris, 2011.

(6) Philippe Langloit, « MQ‑2 : échec programmatique ou pièce essentielle des dispositifs aériens futurs ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 62, octobre-­novembre 2018.

Philippe Langloit

areion24.news

Entre opportunités et défis : regard russe sur le conflit Hamas/Israël


Si Moscou affiche une orientation nettement en faveur de la cause palestinienne depuis l’offensive du Hamas, le Kremlin veille également à ne pas compromettre ses relations avec Israël au risque de fragiliser l’équilibre régional qu’il a patiemment tissé depuis quinze ans.

Pour la Russie, la guerre actuelle entre le Hamas et Israël ne représente pas plus une opportunité susceptible de détourner l’attention des Occidentaux du conflit en Ukraine qu’un risque mettant en péril l’intégrité de sa politique au Moyen-Orient. Au contraire : ce regain d’hostilité confirme principalement aux yeux de Moscou la partialité évidente des États-Unis en faveur de l’État hébreu et leur échec manifeste à proposer une résolution viable du conflit israélo-palestinien. Ce constat corrobore la vision russe de la nécessaire désoccidentalisation de l’ordre international ; un projet alternatif qui implique notamment l’intégration et la légitimation de nouveaux acteurs dans la gestion mondiale des conflits.

Hamas : un indéniable soutien

Depuis le début des hostilités, le 7 octobre 2023, la Fédération russe manifeste ostensiblement son soutien à la cause palestinienne et à une solution onusienne préconisant l’établissement de deux États distincts. La Russie a ouvert des canaux de discussion avec la direction du Hamas avant même que ce dernier ne reçoive le vote des Gazaouis en 2006. Les Russes encouragent cette dernière à accepter les conditions politiques posées par la communauté internationale afin de « monter en légitimité » et plaident par ailleurs en coulisses en faveur d’une réconciliation entre les factions palestiniennes pour renforcer leur unité politique en prévision d’une éventuelle reprise du processus de paix et des négociations avec la partie israélienne (1).

La signature en septembre 2020 des accords d’Abraham, à l’instigation de Donald Trump, a néanmoins constitué une véritable déconvenue pour Moscou (2) : non seulement l’initiative américaine reportait-elle sine die la résolution du conflit israélo-palestinien, mais elle reléguait également à la marge les tentatives russes d’unification des forces palestiniennes. Les violentes représailles qui se poursuivent dans la bande de Gaza, ainsi que le nombre substantiel de victimes civiles palestiniennes, remettent dorénavant en question la légitimité de ces accords pour les chancelleries moyen-orientales (3). Pour Moscou, les hostilités actuelles imposent la réinscription à l’ordre du jour de la question palestinienne et sa nécessaire résolution dans un cadre onusien.

Concrètement, la posture russe s’est traduite jusqu’à présent par son refus catégorique de condamner, de quelque manière que ce soit, l’attaque du Hamas. À la différence de ses rivaux occidentaux, mais en accord avec les normes de l’ONU sur le terrorisme, la Russie ne considère pas le Hamas comme terroriste. Moscou appréhende plutôt l’organisation islamiste comme une force politique engagée dans une lutte contre les inclinations colonialistes des Israéliens. Ainsi, le projet de résolution russe au Conseil de sécurité de l’ONU, soumis dès le 16 octobre et appelant à un cessez-le-feu humanitaire dans la bande de Gaza, évitait délibérément de mentionner explicitement le Hamas comme instigateur du conflit en cours. Parallèlement, une délégation de cette même organisation était accueillie dix jours plus tard à Moscou pour négocier et coordonner la libération des otages israélo-russes.

De manière concomitante, les principaux médias nationaux russes ont tous adopté une position défavorable aux autorités israéliennes, formulant des critiques acerbes quant au traitement réservé aux civils lors des représailles militaires d’Israël à Gaza. Lors d’une conférence de presse tenue le 21 novembre, le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, réaffirmait la disposition de la Russie à appuyer toute relance du processus de paix en vue de l’établissement d’un État palestinien dans les limites territoriales de 1967 avec pour capitale Jérusalem-Est (4), revendication récurrente des négociateurs palestiniens.

Israël : un partenaire encore crucial 

Ce n’est finalement que le 16 octobre — soit dix jours après l’assaut du Hamas en territoire israélien — que Vladimir Poutine, lors d’une conversation téléphonique avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, a présenté ses condoléances aux familles des Israéliens tués, sans remettre en question l’acte commis par la branche armée du Hamas. Ce positionnement de Moscou vis-à-vis de Tel Aviv se démarque nettement de leur attitude antérieure, plus pondérée, qui prévalait avant l’attaque du Hamas (5).

Depuis un peu moins de vingt ans, les autorités russes ont systématiquement cherché à maintenir un équilibre dans la conduite de leurs actions régionales. En cultivant des relations harmonieuses avec pratiquement tous les acteurs en conflit au Moyen-Orient, la Russie s’est présentée comme un intermédiaire indispensable et a cherché ce faisant à rectifier ce qu’elle considère comme une répartition injuste du pouvoir sur la scène internationale. De solides liens ont ainsi été forgés tant avec d’anciens alliés soviétiques (Syrie, Égypte) qu’avec des acteurs davantage orientés vers l’Occident et notamment les États-Unis (Arabie saoudite, Émirats arabes unis). Israël fait partie de cette seconde catégorie.

Sur le plan militaire, le complexe militaro-industriel israélien attise les appétits d’une armée russe souhaitant combler son fossé technologique avec l’Occident. Toutefois, dans le cas de la dronautique, les professionnels israéliens se sont jusqu’à présent abstenus, à la demande de Moscou, de livrer du matériel militaire aux Ukrainiens. Israël revêt également une importance déterminante pour l’économie de la Russie : Tel Aviv n’a en effet jusqu’à présent imposé aucune limitation aux relations économiques bilatérales ni de sanctions personnelles à l’encontre de citoyens russes et Israël continue à commercer avec des entreprises russes. À cet égard, la présence d’une importante diaspora russe en Israël renforce l’idée que cette connexion russo-israélienne n’est pas fortuite, mais bien le résultat de relations culturelles, historiques et politiques étroites entre les deux nations.

Bien que la relation bilatérale entre Israël et la Russie soit globalement positive, plusieurs questions d’ordre stratégique opposent diamétralement ces deux partenaires. Moscou continue en effet d’entretenir une franche collaboration avec l’Iran, principal ennemi israélien, notamment dans le secteur de l’armement (avec le risque d’approvisionner indirectement le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien) ainsi que dans celui du nucléaire, ce que Tel Aviv accueille comme une menace vitale. En Syrie, l’installation par l’armée russe de capacités de détection de missiles aériens visait à limiter la possibilité, pour l’armée israélienne de compromette le rétablissement politique du régime de Bachar el-Assad.

La question palestinienne est une autre source de discorde entre Israël et la Russie, cette dernière ne disposant ni des moyens économiques ni des moyens militaires dissuasifs suffisants pour forcer son partenaire à s’engager pour l’établissement d’un État palestinien à ses frontières. Le 10 décembre, Sergueï Lavrov appelait par exemple au lancement d’une mission d’observation pour évaluer la situation humanitaire à Gaza tout en considérant qu’il n’était pas acceptable, pour Israël, de prendre l’attaque du 7 octobre comme prétexte pour punir collectivement et sans distinction la population palestinienne. Il n’est toutefois pas certain que Moscou soit disposé à sacrifier les principes de justice en faveur de la cause palestinienne au détriment des avantages découlant de sa relation avec Israël. L’objectif actuel de la Russie sur la scène régionale est plutôt de se positionner comme une alternative crédible et moins impartiale que les États-Unis dans la médiation entre Israéliens et Palestiniens.

De l’antisémitisme à l’escalade incontrôlée : les défis du conflit en cours

Le principal défi interne que suscite l’actuel conflit entre le Hamas et Israël pour Moscou réside dans la réémergence de l’antisémitisme en Russie et de sa banalisation. La campagne anti-israélienne dans le paysage médiatique russe crée un contexte favorable à des heurts entre citoyens musulmans et juifs au sein même de la Fédération russe. L’incident du 29 octobre dernier à l’aéroport de Makhachkala, dans la république nord-caucasienne du Daghestan, en constitue une triste illustration. Bien qu’aucun des passagers du vol en provenance d’Israël n’ait été blessé, les émeutiers, arborant des drapeaux palestiniens, avaient été précédemment incités, par des messages sur les réseaux sociaux se référant directement au conflit au Proche-Orient, à venger leurs frères gazaouis. Si les autorités russes se sont empressées de suspecter un complot occidental pour affaiblir la Russie, cet épisode aura tout de même nuit à la cohésion sociale russe.

Sur le plan bilatéral et depuis les attaques du 7 octobre, de nombreux politiques, parlementaires, professionnels de la sécurité et de la défense, ainsi que d’autres intellectuels, journalistes ou universitaires, appellent à une révision des relations avec la Russie. Cet agacement d’une partie des élites israéliennes représente un risque économique (diminution du volume d’échanges entre les deux partenaires, adoption de sanctions) voire stratégique (fourniture d’armes légères à Kyiv) que le Kremlin doit forcément appréhender. Israël pourrait également remettre en question son accord de déconfliction en Syrie, alors que Bachar el-Assad amorce un retour significatif sur la scène internationale (6).

Si une rupture totale de leurs relations bilatérales demeure actuellement inenvisageable, une montée subite des hostilités meurtrières entre Israël, d’une part, et les membres de l’axe de la résistance (factions houthies, syriennes, irakiennes, Hezbollah, Iran), d’autre part, pourrait obliger la Russie à prendre plus clairement position envers l’une ou l’autre des parties, choix qui entraînerait des conséquences néfastes à la fois pour son économie et pour la guerre qu’elle mène en Ukraine. Ses gains politiques en Syrie et son approvisionnement militaire de drones iraniens s’en trouveraient directement menacés. Incapable de soutenir financièrement et militairement une lutte sur deux fronts, la Russie serait vraisemblablement amenée à délaisser le Moyen-Orient au profit de la protection de ses prétentions territoriales et sécuritaires en Europe.

Désoccidentalisation et retour de la question palestinienne : des opportunités bienvenues pour la Russie

Une erreur d’appréciation de la part de certains responsables politiques occidentaux leur fait considérer la crise actuelle comme une opportunité pour la Russie de réduire l’intérêt pour le conflit en Ukraine, ce qu’elle n’est que marginalement. L’intensité médiatique envers la situation israélo-palestinienne persistera même après la cessation des opérations militaires israéliennes. Il semble à l’heure actuelle évident qu’un engagement politique substantiel de la communauté internationale se développe à moyen terme, tant pour prévenir de nouvelles attaques du Hamas que pour adopter une perspective plus attentive aux besoins et aux revendications du peuple palestinien. Ce nouvel élan diplomatique nécessitera inévitablement un effort politique considérable sur une période prolongée. Cette situation détournera nécessairement l’attention de la crise en Ukraine, mais elle matérialisera surtout la concurrence des visions entre les États-Unis et la Russie sur le Moyen-Orient.

Comme mentionné précédemment, Washington s’était engagé, sous la direction de Donald Trump, dans un effort substantiel visant à persuader les chancelleries arabes de normaliser leurs relations avec Israël, sans prérequis sur les avancées du dossier palestinien. Cette normalisation comportait en outre une composante défensive vis-à-vis de l’État iranien, devenu un allié de plus en plus crucial pour la Russie. Recréer des liens formels entre Israël et l’Arabie saoudite représentait toutefois déjà un défi plus grand encore ; depuis le 7 octobre, cette perspective diplomatique semble désormais être enrayée pour une durée considérable. Cela constitue toutefois une opportunité véritable pour la Russie, qui avait déjà présenté publiquement en 2019 sa propre architecture régionale de sécurité. Le probable ajournement de ces manœuvres diplomatiques américaines laisse ainsi le champ libre à la Russie pour favoriser, à moyen terme, le renforcement des relations entre l’Iran et les pays du Golfe, tout en tentant de gérer à plus long terme l’antagonisme entre l’Iran et Israël. C’est notamment dans cette perspective que Vladimir Poutine s’est rendu le 6 décembre dernier aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite.

Anticipant que le niveau d’hostilité entre le Hamas et Israël restera circonscrit à Gaza, Moscou utilise pour l’heure sa tribune au Conseil de sécurité de l’ONU pour critiquer la politique de l’administration américaine, en particulier son indignation sélective, et surtout, la monopolisation par les États-Unis du processus de paix entravant la recherche d’une solution durable pour l’établissement d’un État palestinien souverain et indépendant. Ces critiques acerbes sont cependant moins adressées aux Américains eux-mêmes qu’aux autres pays arabes ainsi que plus largement au Sud global. À défaut de disposer des leviers nécessaires pour convaincre Israéliens et Palestiniens de modifier leurs positions, la crise en cours au Proche-Orient offre à Moscou — qui se targue d’être le seul acteur international majeur capable d’entretenir des relations directes avec l’ensemble des parties et des factions impliquées — l’opportunité de renforcer sa popularité en se positionnant comme le chef de file d’un mouvement prônant une désoccidentalisation de l’ordre international, favorisant ainsi l’inclusion et la légitimation de nouvelles entités politiques dans la gestion mondiale des conflits.

En conclusion, la Russie tire en ce moment avantage du sentiment antiaméricain au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique latine et en Afrique pour promouvoir un ordre mondial alternatif. Estimant représenter un médiateur plus impartial que Washington, la Russie, par sa proactivité diplomatique actuelle, vise moins à soutenir le Hamas ou à condamner le gouvernement israélien qu’à démontrer au reste du monde que la Fédération russe peut jouer un rôle constructif dans le règlement de ce conflit. Les autorités russes se réjouissent ainsi de la possibilité de présider aux reprises des négociations sur la question palestinienne, bien qu’en privé, elles expriment néanmoins davantage de pessimisme quant à cette perspective. Elles sont conscientes que leur pays ne dispose pas seul des ressources nécessaires pour contraindre durablement les parties impliquées à respecter les conditions imposées par l’entité onusienne.

Cependant, les événements régionaux en cours offrent à la Russie l’occasion de réaffirmer son soutien à une résolution durable du conflit israélo-palestinien, avec l’établissement inévitable à terme d’un État palestinien. Elle appelle en outre la communauté internationale, et en particulier le monde non occidental, à envisager les contours d’un changement systémique majeur de l’ordre international visant à inclure un plus grand nombre d’acteurs internationaux dans la résolution des conflits passés, présents et futurs.

Notes

(1) En février 2019, un sommet pour la réconciliation nationale palestinienne s’est tenu à Moscou. Comprenant de nombreux mouvements politiques palestiniens (dont le Fatah et le Hamas), celui-ci a finalement échoué.

(2) Les accords d’Abraham prévoyaient au départ la normalisation des relations entre Israël et deux pays arabes : les Émirats arabes unis et Bahreïn. Ils seront prolongés quelques mois plus tard avec le Maroc et le Soudan.

(3) Bahreïn a d’ailleurs annoncé le 2 novembre dernier la rupture de ses relations avec Israël et le rappel de son ambassadeur.

(4) Le 6 avril 2017, la Russie est devenue le premier pays à reconnaître officiellement Jérusalem-Ouest comme capitale de l’État d’Israël et Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien.

(5) Voir Erik Burgos, « Entre opportunités et risques : la Russie au cœur de la nouvelle gouvernance du Moyen-Orient ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie, n°67, avril-mai 2022, p. 61-62.

(6) Après une décennie d’exclusion, le président syrien a réintégré en mai dernier la Ligue arabe.

Erik Burgos

areion24.news

Le FSB accuse l’Ukraine et les services secrets occidentaux d’avoir « facilité » les attentats de Moscou

 

Le patron du FSB russe, Alexandre Bortnikov, a accusé mardi l’Ukraine et des services secrets occidentaux d’avoir facilité l’attentat près de Moscou qui a fait 139 morts. Ce dernier a pourtant été revendiqué par le groupe djihadiste État Islamique (EI).

Ce proche de Vladimir Poutine a toutefois assuré que «le commanditaire» n’avait «pas encore été identifié», quatre jours après l’attaque la plus meurtrière sur le sol russe en 20 ans.

«Nous pensons que l’action a été préparée à la fois par des islamistes radicaux eux-mêmes et, bien entendu, facilitée par les services secrets occidentaux et que les services secrets ukrainiens eux-mêmes sont directement impliqués», a assuré Alexandre Bortnikov, cité par l’agence de presse Ria Novosti.

Des «éléments», mais pas encore de preuves

«Je pense que c’est le cas», a-t-il insisté, répondant à la question de savoir si l’Ukraine, les États-Unis et le Royaume-Uni avaient orchestré l’attaque. «Il s’agit d’informations générales mais il y a déjà certains éléments», a-t-il poursuivi.

Selon lui, les suspects «avaient l’intention de se rendre» en Ukraine, avec laquelle Moscou est en conflit depuis l’assaut russe de février 2022, et «ils devaient être accueillis en héros de ce côté-là». «On les attendait là-bas», a-t-il assuré. Il n’a toutefois pas fourni de preuves pour étayer ses propos.

Un peu plus tôt mardi, le secrétaire du Conseil de Sécurité russe Nikolaï Patrouchev, auquel des journalistes demandaient qui de Kiev ou de l’EI était derrière l’attaque, avait répondu : «Bien sûr que c’est l’Ukraine».

Onze personnes arrêtées

Ces affirmations vont dans le même sens que les propos de lundi de Vladimir Poutine, qui avait assuré que celui-ci avait été commis par “des islamistes radicaux”, tout en continuant à sous-entendre un lien avec l’Ukraine.

“Des mesures de rétorsion seront bien sûr mises en œuvre et ce travail est en cours. Tous ceux qui ont quelque chose à voir avec (l’attaque) (…) seront trouvés et punis”, a averti mardi M. Bortnikov.

Onze personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre russes à l’heure actuelle, dont les quatre assaillants présumés, tous déjà placés en détention provisoire par un tribunal de Moscou, au même titre que quatre autres suspects.

ATS

Barnea repart à Doha pour s’entretenir avec le chef de la CIA, le Premier ministre qatari et le chef des renseignements égyptiens

 

Le chef du Mossad, les services de renseignement israéliens, va revenir vendredi au Qatar dans le cadre des négociations en vue d’une trêve dans la bande de Gaza, a annoncé jeudi le bureau du Premier ministre israélien.

« Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a approuvé ce soir (jeudi) le départ d’une délégation israélienne menée par le directeur du Mossad, David Barnea, demain (vendredi) pour le Qatar », indique le communiqué.

Le chef du Mossad y rencontrera « le directeur de la CIA, William Burns, le Premier ministre du Qatar, Mohammed ben Abdelrahman Al-Thani, et le chef des services de renseignement égyptiens, Abbas Kamel, en vue d’avancer vers la libération des otages » retenus à Gaza, dans le cadre d’une trêve entre Israël et le Hamas, ajoute le texte.

M. Barnea s’était déjà rendu lundi au Qatar dans le cadre de ces discussions.

États-Unis, Qatar et Egypte essaient d’arracher un accord sur une trêve de six semaines dans la bande de Gaza permettant la libération d’otages retenus à Gaza depuis l’attaque du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre, en échange de prisonniers palestiniens détenus par Israël.

Environ 250 personnes ont été enlevées ce jour-là et 130 d’entre elles sont toujours otages à Gaza, dont 33 seraient mortes d’après les autorités israéliennes.

fr.timesofisrael.com

Des «carences graves» dans l'encadrement du personnel du SRC

 

"Quelques carences graves" existent dans l'administration et l'encadrement des membres du Service de renseignement de la Confédération (SRC), selon un rapport de l'Autorité de surveillance indépendante des activités de renseignement (AS-Rens). "Elles doivent être éliminées de toute urgence."

En matière de recrutement et d'encadrement du personnel, le SRC peut être confronté à des risques internes pour sa sécurité, tels que la trahison, le vol de données ou l'espionnage. Des membres du personnel mécontents sont susceptibles de démissionner.

Ces risques se sont accrus ces dernières années, souligne l'AS-Rens dans un rapport publié mardi sur les activités 2023. Et de citer "l'augmentation flagrante des indices et informations relatifs au mécontentement dans les rangs du SRC, les changements à la tête du service, les résultats de la dernière enquête auprès du personnel et les importantes fluctuations au sein du SRC en général".

Tout en tenant compte de la transformation en cours du SRC, l'AS-Rens estime que les "carences graves" concernent la documentation dans les dossiers personnels, le déroulement des entretiens et des évaluations, ainsi que la définition du déroulement des enquêtes relatives à des personnes en situations particulièrement délicates.

Acceptation du personnel

Il n'y a pas de mouton noir qui devrait être licencié, a précisé Prisca Fischer, présidente de l'AS-Rens, devant les médias à Berne. Elle s'est montrée convaincue de la nécessité de transformer le SRC, mais il s'agit en ce moment d'une phase sensible.

Avec les changements à différents niveaux de hiérarchie, et surtout à la tête du SRC, le défi est d'obtenir l'acceptation du personnel. Il faut que les gens sachent à qui s'adresser, a relevé Prisca Fischer. "Ce genre d'insécurité est dangereux", a-t-elle dit, parlant de transparence et de confiance.

Les ressources des services d'appui, comme les ressources humaines, doivent être réévaluées pour que les tâches liées au recrutement, à l'encadrement et au départ puissent être réalisées correctement. "Cette réévaluation est essentielle pour que le SRC puisse tout bonnement mener à bien sa transformation", écrit l'AS-Rens.

Flexibilité et souplesse

L'autorité de surveillance relève qu'elle doit faire davantage preuve de flexibilité et de souplesse dans son travail en raison des crises de ces dernières années comme la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les derniers développements au Proche-Orient. La transformation du SRC en est aussi une cause, de même que les développements technologiques tels que l'utilisation de l'intelligence artificielle.

En 2023, l'AS-Rens a procédé à quinze inspections et a rendu onze rapports correspondants. Elle s'est par exemple penchée sur le renseignement en source ouverte. Les possibilités de récolter des informations sont quasi infinies pour les services de renseignement en recoupant des données en libre accès, comme les médias, les registres des autorités fédérales et cantonales, les données personnelles que les particuliers rendent accessibles au public et les déclarations faites en public.

ATS